Table des matières

[Article] Notre identité visuelle

2023/12/03 - Pourquoi nos images sont pixelisées ? On vous dévoile les coulisses de notre identité visuelle.

Image de titre de l’article “Notre identité visuelle”

Introduction


Dans cet article, nous expliquons les réflexions qui nous ont orienté vers cette identité visuelle pixelisée, fantastique.

1/ L’image, une question de taille


L’ère des game-boys

Quand j’étais enfant, c’était la fin de l’ère de la game boy. Je me souviens néanmoins avoir joué de nombreuses heures à ces jeux, incarnant un héros de 64x64 pixels. Les designers de l’époque devaient se creuser la tête pour réussir à exprimer le plus clairement l’ambiance et les décors qu’ils voulaient développer dans un univers aux nombres de pixels très restreint. Le développement rapide des technologies numériques, en particulier celles liées à la mémoire de nos appareils électroniques, ont révolutionné les représentations numériques. 360 pixels, 720, HD, 4K, 8K, la course à la résolution de l’œil humain (576 Mpx) semble inarrêtable. Les images sont devenues de plus en plus précises, leur poids a explosé, et les pratiques de design des années retro sont devenus obsolètes…

Graphisme de Game Boy

Avec un regain récent des enjeux de consommation, d’énergie, les questions de l’impact du numérique et de l’écoconception numérique sont redevenus pertinentes. Pour l’éco-conception de notre site web, la question de la taille des fichiers et des images était nécessaire. Notre article sur le site web basse consommation détaille d’autres aspects de l’éco-conception web (diminuer les échanges serveurs-terminaux avec un site statique, et diminuer l’impact des datacenters avec un hébergeur membres des CHATONS1). Dans cette partie, nous allons parler de la réduction des impacts des terminaux, et plus largement, du questionnement de la taille et de l’usage des images.

L’efficience visuelle

La poids moyen d’une page web est moins lourd que celui d’une photo que vous prenez avec votre téléphone. En fait, les téléphones prennent par défaut des photos avec une définition très élevée, mais le rendu ne prend pas en compte l’usage final des photos. Une haute définition est justifiée dans le cas d’images utilisées dans un film, qui sera projeté en cinéma, cependant, pour un blog sur téléphone, une telle définition ne sert à rien. Cela revient à prendre un lance-flamme pour allumer une bougie.

La terme d’efficience visuelle réintroduit l’usage ds images et la perception humaine d’une représentation numérique au cœur des questionnements :

  • Comment l’œil interprète l’image ?
  • Quelle est la taille minimale d’une image pour que l’œil interprète correctement le message représenté?

Pour illustrer ces propos, nous vous invitons à regarder les trois images ci-dessous : amusez-vous à les regarder de plus ou moins près, vous verrez qu’à partir d’une certaine distance, vos yeux interprètent les trois images de la même manière.

Image de 3 voitures plus ou moins pixelisés

La compréhension de la rétine et de la vision humaine ont permis de développer des techniques pour réduire la quantité d’information nécessaire à la compréhension d’une image. Nous sommes donc décidés à mettre ces techniques au service d’une sobriété numérique, et non d’une boulimie d’informations numériques.

Plus qu’une simple compression d’image, ces méthodes offrent en parallèle une expression stylistique et artistique nouvelle, qui vaut le coup d’être expérimentée.

2/ Dithering


Principe

Inspiré d’abord par les jeux d’enfance de Guilwen, et son côté rétrogeek, puis bien sûr par les univers visuels du Low-tech Magazine2 et du ow-tech lab 3, le tramage (ou dithering en anglais) d’image s’est imposé assez vite dans notre identité visuelle.

Le principe du tramage (dithering) est de recréer l’illusion d’une “profondeur de couleur” dans les images dont la palette de couleurs est limitée. Les couleurs qui ne sont pas disponibles dans la palette sont approximées par une diffusion de pixels colorés provenant de la palette disponible. L’œil humain perçoit la diffusion comme un mélange des couleurs qu’elle contient. Cela permet de réduire la taille des images en réduisant le nombre de pixels et le nombre de couleurs au minimum. Ce procédé permet de réduire d’un facteur 5 à 20 la taille d’une image. On passe ainsi aisément d’une image de 4 ou 5 Mo à une image tramée de 50 à 300 Ko! Et ce, en gardant une accessibilité visuelle totalement acceptable, et bien sûr un style rétro assez unique :

Exemple d’image ditherée 1 ^Image ditherée avec DitherIt

Exemple d’image ditherée 1 ^Autre exemple de palette pour le dithering (Blue & Yellow)

Image d’origine ^Image d’origine

Les images tramées, en particulier celles qui comportent relativement peu de couleurs, se distinguent souvent par un aspect granuleux ou moucheté caractéristique.

D’un point de vue informatique, le dithering est l’application volontaire d’un bruit afin de randomiser les erreurs de discrétisation. L’article Ditherpunk 4 explore de manière pédagogique les secrets informatiques derrière le dithering.

Montrer le pixel

Le tramage d’image permet aussi de se rappeler que les images numériques sont avant tout des représentations du réel. Les peintures ont ce grain ou ces courbes propres au pinceau et à la technique de l’artiste. De la même manière, montrer les pixels d’une représentation numérique est un message artistique. L’image ne cherche pas à supplanter le réel, mais assume une expression qui est propre à son support.

3/ Images, rêves et utopie


Dessiner le futur

Le pouvoir des images

Les images sont des vecteurs d’émotions intenses, qui partagent des rêves, des idées. Les images sont puissantes par leur capacité à convoyer de nouvelles représentations. L’économiste Samuelson expliquait le rôle fondamental des images dans l’explication de sa science économique5. Il soutenait que :

Les images sont très puissantes pour expliquer un concept inconnu, elles s’emparent de la première couche, de la Tabula Rasa.

Ainsi, Kate Raworth, économiste et autrice de la Théorie du Donut6, met en exergue le danger que représente les images (et les imaginaires) des conceptions économiques qui sont à l’origine de notre modèle de société actuel. Ces représentations passent outre nos couches conscientes pour s’ancrer plus en profondeur dans nos esprits : les images portent un message bien plus puissant et viral que l’écriture. C’est pourquoi Kate Raworth décide de les combattre avec les mêmes armes : naît ainsi sa représentation économique du Donut, et la théorie du Donut.

Les fictions sombre(s)(nt)

Aujourd’hui, les représentations du futur ne dessinent pas quelque chose de souhaitable. Les fictions, romans, projections, récits du futur, ou encore la science-fiction elle-même sont principalement dystopiques : mondes apocalyptiques, guerres contre les robots, conquêtes et dominations spatiales, essors technologiques et ordres totalitaires.

Cette vision est dangereuse. Comme le rappelle Slavoj Zizek 7, l’idéologie dominante aujourd’hui n’est pas une vision utopique du futur, mais une résignation cynique, une acceptation de “comment marche le monde” accompagnée par un avertissement comme quoi, si on veut (trop) le changer, il n’en résultera que le totalitarisme. Les idéologies associées aux récits du futurs dominants ont pris possession de nos imaginaires et dérèglent notre rapport au présent et à la réalité de plusieurs manières :

  • Ces représentations nous préparent avant l’heure à accepter et à nous soumettre aux dérives technologiques et totalitaires possibles. La sur-représentation d’organisations sociales où la violence, le totalitarisme, la domination technologique, le machisme sont banalisés entraîne une soumission subversive du présent à accepter l’émergence de ce genre de modèle. Pire, les récits futurs peuvent afficher ces dérives démocratiques et technologiques comme des conséquences inévitables de notre modèle actuel, et ancrer un sentiment de fatalité sur les générations actuelles.

  • Ces représentations brident l’imagination et les pensées hors du “système”. Le capitalisme de consommation n’existe que depuis deux siècle mais s’affiche historiquement comme le “moins pire” des systèmes. Cette auto-légitimation vient parasiter les imaginaires qui dessinent souvent deux directions possibles : un consumérisme capitalisme technocrate (dérive dystopique majoritaire) ou bien un chaos post-apocalyptique. Cette binarité entre capitalisme (et ses dérives) ou le chaos ancrent en nous l’image d’une acceptation des dérives actuelles, car c’est le moins pire. C’est faux. Les imaginaires doivent se libérer et s’émanciper.

  • Enfin, souvent, les dystopies sont implicites. Les représentations du futurs surfent sur la hype high-tech et sur les archétypes qui buzzent sur les réseaux. Les questions politiques et sociales d’ou mènent les choix techniques sont absents de ces représentations du futurs.

Ré-ensauvager nos imaginaires

Force est de constater que notre imagination est conceptuellement bridée, et ses représentations sont fortement diminué par une idéologie résignée, presque fataliste. Les auteurs un minimum soucieux des enjeux socio-environnementaux (et technico-démocratique) ont le devoir de s’émanciper de cette forme d’asservissement. Les termes utopie, fabrique d’imaginaire, récits n’ont jamais eu autant d’importance qu’aujourd’hui8. La création, la curiosité, l’expérimentation sont autant de formes qui inspire notre imagination, il ne faut surtout pas les négliger. A l’heure de la conformisation des récits et des imaginaires (avouons-le nous, ce serait tellement plus simple si tous le monde avait envie des mêmes histoires… )

C’est pourquoi nous souhaitons inscrire notre aventure dans cette fabrique d’imaginaire et de récit, de vivre l’utopie pour déjouer notre propre fatalité, et, on l’espère, en inspirer d’autres à suivre nos pas et à questionner la place des imaginaires dans leur vie. Alors ce style d’images tramées est notre outillage pour imprimé le rêve et l’imagination dans notre identité visuelle.


  1. https://www.chatons.org/  ↩︎

  2. https://solar.lowtechmagazine.com/fr/  ↩︎

  3. https://lowtechlab.org/fr  ↩︎

  4. https://surma.dev/things/ditherpunk/index.html  ↩︎

  5. Dans : Raworth Kate, Doughnut Economics Seven Ways to Think Like a 21st-Century Economist. Random House Business Books, 2017. Voici un bon résumé de l’ouvrage : https://bonpote.com/leconomie-du-donut-definition-et-analyse-critique/↩︎

  6. Ibid. ↩︎

  7. Slavoj Zizek, Vivre la fin des temps. Edition flammarion, 2011. ↩︎

  8. Ce constat semble vrai sans même considéré l’expression humaine sur les réseaux sociaux. Ces structures de communications modifient totalement nos rapports sociaux, notre rapport au monde et notre rapport à l’imagination. Il semble pertinent d’étudier le renouveau des récits sous le prisme des IA génératifs et des réseaux sociaux. J’en rédigerais peut-être un article. ↩︎